Cette magnifique oeuvre est apparue pour la première fois dans l'inventaire des biens de Catharina Elisabeth Bode, à Delft en 1703. Une vente aux enchères de 1781 à Bruges fait ensuite mention d’une œuvre appartenant à Marie-Alexandrine de Fraula, représentant Jésus Christ attaché à la croix… peint dans l’année 1631, par Rembrandt.
En 1804, Xavier Duffour achète l'oeuvre à Dunkerque. Originaire du Mas d'Agenais, il en fait don à la paroisse, l'année suivante, sans en connaître l'auteur.
Il faut attendre sa découverte dans la sacristie de la collégiale par le Comte de Lonlay en 1850 pour qu’il soit examiné par les Musées Impériaux qui le restaurent une première fois en 1853. Le tableau est alors identifié comme pouvant être de la main de Rembrandt mais sans une expertise plus poussée.
Le tableau est classé au titre des Monuments Historiques le 6 juin 1918.C’est en 1959 qu’une restauration par le Laboratoire des musées nationaux fait apparaître une signature sous les pieds du Christ (RHL 1631) et que l’œuvre est officiellement attribuée à Rembrandt.
En 2011, à l’occasion de son dernier voyage au Musée du Louvre pour l'exposition Rembrandt et la figure du Christ, le tableau est étudié et restauré par les ateliers de restauration du Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France qui en confirment l’extrême fragilité.
En 2016, le tableau a été gardé précieusement à la cathédrale de Bordeaux en attendant que la vitrine de la collégiale du Mas d'Agenais soit adaptée aux conditions de sécurité et de conservation de l'oeuvre.
C'est au mois de mai 2022 qu'elle retrouve son joyau sécurisé dans le Lot-et-Garonne.
Le Christ sur la Croix se dresse seul dans un paysage sombre. Son visage est levé́ vers le ciel, tordu de douleur, sa bouche est ouverte. Des gouttes de sang tombent de ses mains et de ses pieds. Il est à l’agonie. Dans cette expression de souffrance, son corps est baigné par une lumière venant d'en haut, évocation possible de sa résurrection.
Cette représentation du Christ suscite l’empathie du spectateur face à la douleur du crucifié. Le clair-obscur isole et révèle son corps amaigri. Le détail réaliste de sa musculature, l'individualisation des traits fins et précis de son visage l’éloignent de l'esthétisme et du pathétisme des corps athlétiques des Christs de ses contemporains. L’œuvre se distingue par l'émotion et par le haut degré d'humanité qu'elle transmet.
Mettant en lumière la nature humaine du Christ, plutôt que sa divinité, Rembrandt réalise une œuvre originale dans l'histoire de la peinture et de la représentation du Christ, très éloignée du corps glorieux et musclé de celui de Rubens. Le Christ de Rembrandt est un homme chétif, tourmenté, sans halo de gloire.
Il interprète le texte de Marc : 15: v 34 où le Christ, qui se sait seul et abandonné, s’écrie : "Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné?
Détail du visage et de la main du Christ (© Isabelle Leegenhoek)
Rembrandt Harmenszoon van Rijn naît le 15 juillet 1606 à Leyde, Pays-Bas. Il y ouvre un atelier vers 1624 avec Jan Lievens. Lorsque qu’il peint Le Christ sur la Croix en 1631, il a 25 ans. Grâce à Constantijn Huygens, poète et secrétaire du prince d’Orange, qui lui rend plusieurs fois visite en 1628 et 1629 et lui passe plusieurs commandes, il atteint une première notoriété qui l’amène à s’installer à Amsterdam. Dès lors, il reçoit de nombreuses commandes pour des tableaux de corporations et des portraits de patriciens.
Entre 1632 et 1639, le prince d’Orange Frederik Hendrik, Stadhouder des Provinces-Unies, lui passe commande de sept tableaux représentant la Passion du Christ. Six d’entre eux sont maintenant conservés à l’Ancienne Pinacothèque de Munich.
Le Christ sur la Croix se rapproche par ses dimensions de ces tableaux. Leurs compositions théâtrales sont toutefois très différentes du Christ sur la croix du Mas d'Agenais qui a été peint précédemment. Ce rapprochement n'a donc pas été confirmé.
La conception du Christ sur la Croix de Rembrandt est pourtant considérée par les historiens comme fondamentale pour le développement du cycle de la Passion commandé par le Prince. Selon Blaise Ducos, conservateur au Louvre, il s’agit d‘une « véritable révolution ». En effet, elle bouleverse la représentation du Christ de l’époque, glorieux héros d’inspiration antique, impassible devant la mort, tel que le peint Lievens la même année 1631, ou Rubens vingt ans plus tôt.
Photos : auto-portraits de Rembrandt 1629 et 1633